Les « bricoleurs de Champigny » et la recherche permanente d’innovation… Notre histoire commence avant la Seconde Guerre mondiale. Nous sommes à Champigny-sur-Marne. Voisin d’une concession Citroën, le jeune polytechnicien Charles Deutsch se décide à en pousser la porte et rencontre alors René Bonnet, le patron propriétaire. C’est avec lui qu’il allait lancer une épopée florissante aux 24 Heures du Mans. Les deux hommes, épris de la passion de la course automobile et de l’esprit des « Grand Tourisme » au sens le plus noble, créaient ensemble la marque DB (Deutsch et Bonnet).
Leur premier projet : modifier une Traction et en reprendre certains éléments mécaniques pour créer une voiture de course. Apparaît en 1938 la DB1. Rapidement suivie par une DB2, la créativité des deux hommes est stoppée par la guerre. Mais dès 1945, ils se relancent. Barquettes, monoplaces, les « bricoleurs de Champigny » se font remarquer par l’état-major de Citroën qui n’apprécie guère. C’est vers Panhard qu’ils se tournent alors pour les moteurs. Suivra la production de nombreuses voitures de course mais aussi de modèles de série et notamment le cabriolet Le Mans de 1959.
Les 24 Heures du Mans justement, retournons-y. C’est dans la préfecture de la Sarthe que la légende de Charles Deutsch et René Bonnet se construit. Attirés par la prime promise par Panhard à quiconque remporterait une catégorie avec un de ses moteurs, en phase avec le principe de l’indice énergétique (qui récompense la voiture ayant un rapport optimal entre sa consommation et sa vitesse de pointe), nos deux compères multiplient les tentatives. Et avec succès. En 1954, 1956 et 1959, ils remportent la victoire à l’indice. A cause de désaccords sur la suite à donner à leur aventure, ayant chacun des visions différentes en matière notamment de fourniture moteur, Deutsch et Bonnet se quittent. Les deux hommes hier associés se retrouvent ainsi en concurrence sur la piste dès les 24 heures du Mans 1962, les CD Dyna affrontant les René Bonnet Djet pour un duel presque fratricide.
Mais, si Bonnet lançait son projet avec succès, il dut rapidement mettre la clé sous la porte, son usine étant rachetée par Matra Automobiles et servant de base à la folle épopée que nous connaissons tous en Formule 1 et au Mans. De son côté, Charles Deutsch décidait de lancer la Société d’Études et de Réalisations Automobiles CD… et de pousser encore plus loin ses recherches.
La CD Peugeot SP66, aboutissement des rêves de Charles Deustsch… Après avoir participé au Mans en 1963 avec une voiture équipée d’un moteur DKW 3-cylindres à deux temps, Deutsch revient en 1964 avec une nouvelle voiture ultra-aérodynamique équipée d’un bloc Panhard, la LM64. Passée dans la soufflerie Eiffel (plus précisément le laboratoire aérodynamique Eiffel), une maquette de la voiture affichait un Cx de 0,17. Nous sommes ici aux prémices des recherches en matière d’aérodynamique et Deutsch est à voir comme un défricheur, un pionnier.
Deux voitures sont construites, reprenant le châssis central de la Panhard CD de série, avec au passage le travail de Jean Claude Haenel au dessin. On découvrait une auto avec des voies très étroites à l’arrière en comparaison avec la berline Panhard PL17 donneuse, le tout permettant d’accueillir une carrosserie en forme de goutte d’eau pour soigner l’aérodynamique.
Aux 24 Heures du Mans 1966 (lire par-ailleurs 24 Heures du Mans : ce que vous ignorez probablement sur l’édition 1966), ce sont les CD Peugeot SP66 qui se lancent à l’assaut, cette fois, avec une mécanique Peugeot sous le capot. L’Automobile Club de l’Ouest (ACO) ayant banni les moteurs inférieurs à une cylindrée de 1,0 litre, Deutsch doit se mettre à niveau. Voilà comment c’est un moteur dérivé de celui de la Peugeot 204, un 4-cylindres en ligne quatre temps avec un bloc en alliage léger, qui est utilisé. Avec deux soupapes par cylindre commandées par un arbre à cames en tête, le moteur délivre une puissance d’environ 105 chevaux à 7 300 tr/min et peut atteindre un régime maximal de 8 000 tr/min. Les CD Peugeot SP66 pouvaient fendre l’air dans les Hunaudières à 250 km/h. Une prouesse permise par un poids réduit de 760 kg. Bien avant les prototypes aux lignes aérodynamiques des années 70, les créations françaises étaient efficientes, intelligentes.
La puissance était transmise exclusivement à l’arrière, tandis que les pilotes utilisaient une boîte de vitesses à cinq rapports. Pour freiner l’engin, on retrouvait des disques sur chaque roue.
Trois exemplaires furent assemblés à Puteaux, dans les ateliers de Charles Deutsch. Engagées avec les numéros 51, 52 et 53, les CD SP66 ne virent malheureusement pas l’arrivée. Les trois voitures abandonnèrent, respectivement après 54, 19 et 91 tours. En 1967, l’aventure ne fut pas mieux récompensée avec, encore, un double abandon.
Les CD SP66 (puis SP66C en 1967) ne se sont pas imposées mais ont marqué l’histoire de la plus grande course d’endurance au monde que représentent les 24 Heures du Mans. Elles ont constitué, lorsqu’elles étaient en piste, un véritable laboratoire aérodynamique, jouant sur l’effet de sol encore méconnu et utilisant une suspension mécanique innovante. En complément de cet héritage technique, qui a depuis largement été utilisé en compétition, on profite aujourd’hui de son esthétique intemporelle.
Au travers de l’intégration des dérives verticales, avec ses lignes fluides et un pare-brise panoramique superbement intégré, les CD SP66 permettent de voyager dans le temps lorsqu’elles s’offrent à notre regard.
Une voiture iconique, témoin de cette époque, se prépare à reprendre la piste… 6632W75 (c’est sa plaque minéralogique) est une authentique CD Peugeot SP66 de 1966 (la n°52). Elle sera engagée lors de l’édition 2022 de Le Mans Classic par L’Aventure Peugeot.
Texte : Geoffroy Barre
Photos : DR et L’Aventure Peugeot
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