Sur l’autoroute A10, à une quarantaine de kilomètres de Paris, un tronçon de seulement 1,5 km vient d’être transformé en laboratoire technologique. Sous l’asphalte flambant neuf, 900 bobines de cuivre ont été enfouies à une dizaine de centimètres de profondeur. Leur rôle : transmettre de l’électricité par induction à des véhicules expérimentaux équipés de plaques réceptrices. L’idée est simple sur le papier : recharger en roulant. Mais derrière cette vitrine d’innovation au nom de « Charge as you drive » (« Chargez en roulant »), une question brûle les lèvres. Est-il vraiment raisonnable de dépenser 26 millions d’euros dont une partie provient de l’argent public, via Bpifrance, dans le cadre du plan France 2030, pour électrifier une portion d’autoroute aussi courte ?

Le projet « Charge as you drive » (« Chargez en roulant »), présenté comme une première mondiale sur autoroute, est porté par un consortium où l’on retrouve Vinci Autoroutes, la start-up israélienne Electreon, le groupe Hutchinson (filiale de TotalEnergies) et l’Université Gustave Eiffel. Parmi les prototypes qui circulent déjà sur l’autoroute électrique de l’A10, on trouve notamment un utilitaire, un bus et un poids lourd DAF XF. Chacun de ces véhicules embarque des plaques de réception de 80 x 130 cm, pesant près de 40 kg, capables de capter jusqu’à 300 kW de puissance, avec une moyenne de 200 kW. Sur le papier, la prouesse technique est indéniable. Dans les faits, elle reste confinée à l’expérimentation, loin d’une application à grande échelle pour un coût exorbitant de 26 millions d’euros.

A10 autoroute électrique recharge par induction

En effet, la recharge par induction, si elle est devenue banale pour un smartphone, demeure balbutiante dans l’automobile. Porsche promet bien un Cayenne électrique compatible avec la recharge statique sans fil en 2026, mais la recharge dynamique, en roulant, reste un pari incertain. Les pertes énergétiques oscillent entre 15 et 20 % selon EDF, et le coût d’intégration dans les véhicules comme dans les infrastructures est colossal. Pendant ce temps, le réseau français de bornes rapides progresse à grande vitesse, offrant une alternative déjà opérationnelle et bien moins coûteuse.

Les promoteurs du projet « Charge as you drive » installé sur l’A10 en tant que portion d’autoroute électrique de 1,5 km, insistent sur l’enjeu du transport routier de marchandises. Selon eux, électrifier les routes permettrait de réduire la taille des batteries des camions, d’alléger leur coût, de limiter la dépendance aux matières premières critiques et de diminuer les émissions de CO2 liées à leur fabrication. Un discours séduisant, mais qui repose sur une hypothèse : un déploiement massif de cette technologie sur le réseau autoroutier. Or, à l’heure actuelle, rien ne garantit que ce modèle puisse être généralisé sans engloutir des milliards supplémentaires.

Et c’est bien là que le bât blesse. Dans une France étranglée par la dette publique, où les hôpitaux manquent de lits, où les écoles tombent en ruine et où les collectivités locales peinent à financer leurs services essentiels, l’État français choisit d’investir de l’argent public dans 1,5 km de bitume électrifié. Une somme vertigineuse pour un résultat microscopique. Une vitrine technologique, certes, mais financée par les contribuables.

En plus du premier tronçon électrifié par induction, le communiqué de presse de Vinci Autoroutes datant du 12 juillet 2023 confirme qu’une seconde portion de l’A10 sera également équipée, mais cette fois avec une technologie différente : un rail conductif. Le document précise en effet que deux tronçons-test de 2 km chacun seront aménagés sur l’autoroute A10, en amont de la barrière de péage de Saint-Arnoult-en-Yvelines. Le premier tronçon repose donc sur la recharge par induction, grâce à des bobines intégrées sous la chaussée, tandis que le second expérimentera la recharge dynamique par rail conductif, une technologie où un rail métallique au sol transmet directement l’énergie aux véhicules équipés d’un bras collecteur. L’objectif est de comparer, en conditions réelles de circulation, les performances, la fiabilité et les coûts de ces deux solutions.

Enfin, alors que le pays débat de chaque euro dépensé, que les ménages subissent de plein fouet l’inflation et que les services publics s’effondrent, l’expérimentation de l’autoroute électrique de l’A10 interroge. Est-ce un investissement visionnaire ou un luxe hors de prix ? Derrière les discours sur l’innovation et la transition énergétique, une réalité s’impose : ce projet n’existerait pas sans l’argent public. Et il est permis de se demander si la France, dans l’état actuel de ses finances, peut encore se payer ce genre de démonstration.

La rédaction

Photos : Vinci Autoroutes