En juillet 2026, toutes les voitures neuves vendues en Europe seront équipées d’une caméra infrarouge braquée en permanence sur le visage du conducteur. Sa mission officielle ? Détecter la fatigue, l’hypovigilance, la distraction. Mais derrière cette justification sécuritaire se dessine une perspective autrement plus intrusive : un jour prochain, cette caméra pourrait servir à identifier la consommation d’alcool et de stupéfiants. Le conducteur, observé sans relâche, deviendrait l’objet d’une surveillance totale. « Big Brother », cette fois, serait installé directement dans l’habitacle.

Créé en 1997 à Bruxelles, Euro NCAP (European New Car Assessment Programme), organisme indépendant d’évaluation de la sécurité automobile, attribue depuis près de trois décennies des étoiles aux véhicules en fonction de leur protection des passagers, des piétons et de leur capacité à prévenir les accidents. Le 27 novembre dernier, Euro NCAP a annoncé un durcissement de ses critères. Parmi les mesures envisagées figure « l’attribution de points supplémentaires aux véhicules qui embarquent une technologie capable, d’une part de reconnaître chez le conducteur les signes indicateurs de la consommation de drogues ou d’alcool ; d’autre part d’arrêter automatiquement le véhicule en toute sécurité pour le cas où le conducteur ne réagirait pas ». Autrement dit, la surveillance ne se limiterait plus à la vigilance : elle s’étendrait au contrôle des comportements intimes, à la détection de l’ébriété et de l’intoxication. De l’autre côté de la Manche, c’est un radar de haute technologie à IA intégrée, capable de détecter l’alcool au volant et la prise de stupéfiants, qui est en cours de développement.

Ce qui ressemble à de la science-fiction est déjà une réalité technique. De nombreux véhicules en circulation savent aujourd’hui se ranger seuls sur le bas-côté sans intervention humaine. La toute dernière Renault Clio 6, commercialisée cet automne, intègre une technologie dite « avancée » de surveillance du conducteur capable de ralentir puis d’arrêter le véhicule si le conducteur ignore les alertes sonores et visuelles. Précisons que ce système n’intègre pas la détection de l’alcool ou de la drogue au volant, comme tous les véhicules commercialisés aujourd’hui. L’arrêt automatique n’est actif que lors des phases de conduite semi-autonome, lorsque le régulateur de vitesse adaptatif est enclenché. Sur autoroute, il peut même ralentir pour éviter une infraction de dépassement par la droite. La mécanique est déjà là, il ne manque donc qu’un chaînon : l’analyse de l’état physiologique du conducteur.

Le règlement communautaire GSR II (General Safety Regulation) impose bien, à partir de juillet 2026, l’installation d’un Driver Monitoring System (DMS) capable de repérer la distraction et la somnolence. Cependant, il n’exige pas encore la détection de l’alcool ou des drogues. Cette extension est en discussion, confirme le European Transport Safety Council (ETSC). Les doutes portent sur la fiabilité : un système qui déclenche des faux positifs perd rapidement la confiance des automobilistes. Pourtant, les équipementiers avancent déjà leurs solutions.

En effet, en juin 2025, la société suédoise Smart Eye a présenté « la première caméra DMS douée de la capacité de détecter l’état d’ébriété ». Identique aux modèles déjà installés dans des milliers de véhicules, elle repose sur un logiciel enrichi capable « d’observer le regard du conducteur et d’interpréter l’expression de son visage pour la comparer avec des comportements types qui trahissent l’intoxication à l’alcool », explique Martin Krantz, président et fondateur de Smart Eye. Selon lui, la maturité de cette technologie « encourage le législateur en Europe, comme aux États-Unis, dans sa volonté de renforcer la surveillance du conducteur. »

Au CES 2024, l’équipementier Magna, associé à Senseair, a dévoilé un système combinant l’analyse de la dilatation de la pupille et de l’expression faciale avec celle de l’air expiré par le conducteur. Sans capteur supplémentaire, la caméra infrarouge déjà en place suffit : « La résolution est suffisamment élevée pour détecter la différence d’absorption des émissions à travers le CO2 et l’alcool », détaille Caroline Chung, ingénieur du projet. Les tests afficheraient une précision de 0,0003 mg d’alcool par litre d’air, supérieure à celle d’un éthylotest soufflé. Une performance qui pourrait lever les doutes sur la fiabilité et favoriser l’acceptation par les automobilistes.

Contrairement à l’éthylotest antidémarrage (EAD), qui impose de souffler avant chaque mise en route, le DMS fonctionnerait en continu, sans action du conducteur. En France, l’EAD est possible depuis 2018 sur prescription préfectorale ou judiciaire « comme alternative à la suspension du permis de conduire ». Mais il suppose une infraction préalable et une décision médicale. Le DMS, lui, agirait en amont, dans une logique de prévention. Bruxelles et Euro NCAP veulent ainsi éviter les accidents plutôt que sanctionner les comportements, et réduire la récidive. Deux approches complémentaires, mais dont l’une implique une surveillance permanente.

Enfin, si ce type de technologie venait à équiper un jour toutes les voitures, il comblerait un vide béant : celui laissé par l’absence de véritable police de la route en France. Ici, on préfère les radars automatiques et les prestataires privés aux contrôles humains. La caméra DMS, en détectant alcool et stupéfiants au volant, deviendrait le gendarme invisible, omniprésent, infaillible. Le conducteur ne pourrait plus se soustraire au regard de la machine. L’habitacle deviendrait un espace sous contrôle, où chaque souffle, chaque clignement d’œil, chaque micro-expression serait analysé. « Big Brother » ne serait plus une métaphore : il serait assis à vos côtés, silencieux, mais toujours en éveil pour votre sécurité et celle des autres.

La rédaction

Photos : Smart Eye et LesVoitures.com

Frédéric Martin

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