À Cléon, en Seine-Maritime, l’inquiétude prend racine et ne cesse de grandir. Dans cette usine historique du groupe Renault, intégrée à la filiale Ampere, les salariés observent avec amertume un virage stratégique qui pourrait bouleverser leur avenir. Selon les syndicats, le stator du futur moteur électrique E7A ne sera pas confié à l’équipementier français Valeo, mais à un partenaire chinois du Losange. Une décision lourde de sens, qui symbolise un nouveau rapprochement avec la Chine et qui alimente les craintes d’un recul industriel sur le sol français.

Le site de Renault situé à Cléon, spécialisé dans la fabrication de moteurs et de boîtes de vitesses, doit produire le rotor de ce moteur E7A, attendu entre 2027 et 2028. Mais le choix de Renault de probablement déléguer le stator à un acteur chinois, en écartant Valeo, est perçu comme une rupture. Les syndicats dénoncent une stratégie qui fragilise l’emploi local et qui remet en cause les promesses d’une filiale Ampere présentée comme « 100 % française ».

 Renault Cléon EAT7 Valeo

Pour David Bellanger, délégué syndical central de la CGT et représentant du syndicat majoritaire, qui s’est confié à L’Argus, la décision est incompréhensible : il rappelle que les salariés n’ont « rien contre les travailleurs chinois », mais souligne que « Renault cherche simplement à baisser ses coûts et à augmenter sa rentabilité ». Selon lui, cette orientation ajoute une inquiétude supplémentaire à un climat déjà tendu. Les promesses d’une filiale française, censée incarner la souveraineté industrielle, s’effritent face à une logique de rentabilité immédiate.

Cette décision s’inscrirait dans une série de choix qui éloignent progressivement Cléon des grands projets électriques du constructeur automobile Renault. La production du moteur de la future Twingo a été attribuée à la Slovénie, celle de la nouvelle Clio au Portugal. Quant à la Renault 5 d’entrée de gamme, elle est équipée d’un moteur chinois, contrairement aux versions supérieures dotées du moteur 6AK conçu à Cléon. Les salariés voient leurs volumes de production diminuer et redoutent un avenir sans perspectives.

Le moteur 7DL, destiné à la future Alpine A390 électrique, doit également être assemblé à Cléon. Mais avec seulement 6 000 unités par an, ce projet apparaît dérisoire face au moteur thermique M, produit à raison de 1 000 unités par jour. La comparaison illustre la fragilité de la transition en cours. La boîte de vitesses P, autre pilier de l’usine, représente encore 10 000 unités par mois, mais ce chiffre était deux fois supérieur il y a quelques années. Et la tendance est à la baisse, notamment avec le ralentissement annoncé de la production du Renault Master à Sandouville dès 2026.

La situation est d’autant plus préoccupante que l’échéance de 2035 approche. À cette date, l’Union européenne prévoit la fin des ventes de véhicules thermiques. Or, près de 1 000 salariés de Cléon restent encore exclusivement affectés à la production thermique. La transition vers l’électrique, censée être l’avenir du site, se heurte à une demande insuffisante. Une équipe de nuit dédiée à l’électrique a même été démantelée récemment, entraînant la suppression de 14 emplois. L’usine comptait 2 600 salariés en mai, ils ne sont plus que 2 500 aujourd’hui. Les embauches promises pour 2025-2026 n’ont pas vu le jour.

Dans ce contexte, le choix de Renault de se tourner vers un partenaire chinois pour le stator du moteur E7A apparaît comme un signal inquiétant. Il illustre une stratégie où la recherche de rentabilité prime sur la souveraineté industrielle et sur la pérennité des sites français. Les syndicats dénoncent un manque de transparence et une absence de grands projets structurants pour Cléon. Le dialogue avec la direction est rompu, et les salariés se sentent abandonnés.

Enfin, alors que Renault affiche ses ambitions électriques et multiplie les annonces, Cléon vit dans l’incertitude. Entre la baisse des volumes thermiques, les projets électriques jugés trop modestes et désormais la perte du stator du moteur E7A au profit d’un partenaire chinois, c’est tout un site qui tire la sonnette d’alarme. Derrière les chiffres et les choix stratégiques, ce sont des centaines de familles qui redoutent de voir disparaître un savoir-faire industriel français au profit d’une dépendance accrue à l’étranger.

La rédaction

Photos : Renault

Frédéric Martin

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