La Commission européenne envisage d’anticiper la révision de sa feuille de route vers la fin des véhicules thermiques neufs, initialement prévue pour 2026, face aux inquiétudes croissantes des industriels du secteur. Cette clause de revoyure, censée permettre un ajustement des objectifs, pourrait être examinée «  le plus tôt possible  », selon les déclarations officielles.

Depuis la ratification fin 2022 d’un texte législatif majeur, l’Union européenne s’est engagée à interdire, à partir du 1er janvier 2035, la vente de tout véhicule neuf thermique ou hybride, soit les voitures particulières ou utilitaires légers émettant donc des émissions de CO₂. Cette mesure s’inscrit dans le cadre du plan global visant à atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. En pratique, cela signifie la disparition des modèles fonctionnant à l’essence, au gazole, mais aussi des hybrides, au profit exclusif des voitures et autres véhicules 100 % électriques ou équipés de pile à combustible fonctionnant à l’hydrogène.

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Un premier jalon est fixé pour 2030, avec une réduction obligatoire de 55 % des émissions de CO₂ pour les voitures neuves par rapport aux niveaux de 1990, et 50 % pour les utilitaires légers. Mais les acteurs de l’industrie automobile européenne alertent depuis des mois : ce calendrier est jugé intenable dans les conditions actuelles.

La transition vers le tout-électrique implique des transformations profondes : refonte des chaînes de production, adaptation des infrastructures logistiques, et développement de technologies à zéro émission. Ces efforts mobilisent des milliards d’euros d’investissement de la part des constructeurs et équipementiers européens.

Pourtant, la demande pour les voitures et véhicules 100 % électriques, après un ralentissement observé en 2024, peine à suivre le rythme espéré par les législateurs. Une partie de cette demande se tourne vers des modèles chinois, proposés à des prix très compétitifs, grâce à des subventions nationales massives. L’Union européenne considère ces pratiques comme déloyales au regard des règles de l’OMC, et a réagi en imposant des droits de douane compensatoires. À cela s’ajoutent les nouvelles taxes américaines à l’importation, qui fragilisent davantage les industriels européens déjà confrontés à une concurrence mondiale exacerbée.

« Atteindre les objectifs rigides de CO2 des voitures et camionnettes fixés pour 2030 et 2035 est, dans le monde d’aujourd’hui, simplement impossible. »

Cette déclaration, du 27 août dernier, est venue de l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles) et de la CLEPA (Association des équipementiers), via une lettre ouverte adressée à Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne.

Les deux organisations affirment être «  engagées à aider l’UE à atteindre l’objectif net zéro de 2050  », en annonçant un investissement cumulé de 250 milliards d’euros d’ici 2030. Elles appellent à une recalibration de la trajectoire de réduction du CO₂, afin de concilier ambitions climatiques, compétitivité industrielle, cohésion sociale et résilience des chaînes d’approvisionnement.

Cette mobilisation intervient dans un contexte où les constructeurs automobiles ont récemment obtenu un assouplissement du calendrier du règlement CAFE, qui impose des plafonds moyens d’émissions de CO₂ sur la totalité de leurs productions. Initialement prévu pour 2025, ce seuil pourra désormais être lissé jusqu’en 2027, offrant un répit stratégique aux marques européennes.

Le secteur automobile européen représente un poids lourd économique : 13 millions d’emplois, 10 millions de véhicules neufs vendus chaque année, et un parc roulant estimé à 300 millions d’unités. Les voitures particulières sont responsables de 12 % des émissions de CO₂ dans l’UE, selon les données officielles. En 2023, l’Union représentait 6,44 % des rejets mondiaux de CO₂, selon les données les plus récentes disponibles.

Le 12 septembre, un troisième dialogue stratégique s’est tenu à Bruxelles, réunissant la Commission européenne, des représentants de l’industrie, des partenaires sociaux et divers acteurs du secteur, afin d’explorer des pistes d’ajustement du calendrier et des modalités de mise en œuvre.

Selon Reuters, la clause de revoyure pourrait être réexaminée avant la fin de l’année 2025. Les utilitaires légers pourraient devenir un point central des discussions, leur taux d’électrification étant encore faible : 8,5 % des ventes dans l’UE, contre 15,6 % pour les voitures particulières.

Par ailleurs, plusieurs éléments techniques restent à clarifier. La définition officielle de la neutralité carbone des carburants de synthèse, qui pourraient être autorisés après 2035, n’a toujours pas été publiée. De même, la méthode de calcul des émissions de CO₂ sur l’ensemble du cycle de vie des véhicules, annoncée en 2022 pour une mise en œuvre en 2025, se fait attendre. Cette méthode est censée permettre une comparaison standardisée entre les différentes motorisations, en tenant compte de la production, de l’usage et du recyclage.

De plus, selon nos informations, les véhicules hybrides rechargeables (PHEV) et les prolongateurs d’autonomie pourraient être autorisés à partir du 1er janvier 2035. L’UE pourrait aussi, pour les loueurs et les flottes d’entreprises, imposer les voitures électriques dès 2030, comme un levier de négociation avec les constructeurs automobiles, si un assouplissement leur est accordé à l’échéance de 2035.

Face aux pressions des industriels traditionnels, les partisans du calendrier initial ne désarment pas. Regroupés sous la bannière Take Charge Europe, plus de 150 entreprises engagées dans la mobilité électrique ont adressé, le 8 septembre, une lettre ouverte à Ursula von der Leyen, l’appelant à « se tenir à l’échéance de 2035 et la soutenir ».

Parmi les signataires figurent des opérateurs de réseaux de recharge, des fournisseurs de services liés à l’électromobilité, mais aussi trois constructeurs automobiles : l’américain Lucid, et les suédois Volvo et Polestar, tous deux intégrés au groupe chinois Geely.

Enfin, le débat ne porte pas sur la remise en cause du passage aux voitures et véhicules 100 % électriques, mais sur les modalités d’application et le rythme de transition. Entre les impératifs climatiques, les réalités industrielles et les tensions géopolitiques, l’Union européenne pourrait être amenée à adapter sa stratégie, sans renoncer à son objectif final : zéro émission nette en 2050.

La rédaction

Photos : LesVoitures.com