Dans la « vallée de la batterie » des Hauts-de-France, symbole d’une souveraineté industrielle tant proclamée, la réalité s’impose avec brutalité : l’Europe ne sait pas produire seule ses batteries. Derrière les façades flambant neuves des gigafactories françaises, la montée en puissance repose sur un savoir-faire importé. Pour espérer rivaliser avec la domination asiatique, il faut accepter que des ingénieurs chinois et asiatiques encadrent au quotidien des salariés français, souvent novices, et leur transmettent une expertise forgée depuis plus de vingt ans. L’autonomie industrielle, brandie comme un objectif stratégique, se construit paradoxalement sous tutelle étrangère.

Chez AESC, pionnier des batteries de voitures électriques depuis quinze ans en Asie, l’usine de Lambres-lez-Douai tourne depuis quelques mois. Mais derrière les lignes de production, ce sont des spécialistes chinois qui guident chaque geste des nouvelles recrues françaises. Même constat chez Verkor, dont la gigafactory de Bourbourg, inaugurée hier, ne peut fonctionner sans l’appui de spécialistes venus d’Asie, notamment de Corée du Sud. Quant à ACC, la coentreprise fondée entre Stellantis, TotalEnergies et Mercedes-Benz, installée à Billy-Berclau, elle a démarré en 2024 dans la douleur, avec un taux de rebus élevé. La cadence s’améliore, mais la dépendance reste criante : sans l’expertise étrangère, la production ne tiendrait pas.

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Ce paradoxe illustre une faiblesse structurelle : l’Europe, malgré ses ambitions, n’arrive pas à maîtriser la fabrication des batteries. Les taux de rebus demeurent, à ce jour, trop élevés et les compétences locales trop limitées. La souveraineté industrielle, martelée par les dirigeants, se heurte à une évidence : sans les Chinois, rien ne fonctionne.

À cette dépendance s’ajoute une autre, plus silencieuse mais tout aussi stratégique : celle des terres rares. L’Europe en a besoin pour ses batteries, ses moteurs électriques, ses technologies vertes. Or, la Chine contrôle l’essentiel de la production mondiale, à hauteur d’environ 70 %, et conserve une large part pour son propre marché. Pékin verrouille l’accès à ces ressources, laissant l’Europe dans une position de fragilité chronique.

De plus, le déséquilibre commercial s’accentue. En 2025, l’Europe a importé davantage de voitures venues de Chine qu’elle n’en a exporté de modèles européens vers la Chine. Ce renversement souligne la perte d’influence de l’industrie automobile européenne sur le marché mondial. Les constructeurs automobiles chinois, portés par une réglementation peu contraignante, des coûts de main-d’œuvre très bas et une avance technologique dans l’électrique, s’imposent sur nos routes, tandis que les marques européennes peinent à pénétrer le marché chinois.

En Europe, faut-il rappeler que le marché des voitures électriques ne décolle pas assez vite et que l’ensemble de la filière automobile est en souffrance. L’UE doit, à ce titre, revoir dans quelques jours sa position sur la fin du thermique fixée à 2035.

Enfin, derrière les discours de souveraineté et d’indépendance, la réalité est implacable : l’Europe reste dépendante des savoir-faire asiatiques, des ressources chinoises et des importations de véhicules venus de Pékin. La « vallée de la batterie » représente moins une conquête qu’une démonstration de faiblesse, révélant une industrie contrainte d’apprendre, encore et toujours, auprès de ceux qu’elle prétend vouloir dépasser.

La rédaction

Photos : LesVoitures.com et ACC

Frédéric Martin

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