Citroën Mille Pattes Michelin : il fête ses 50 ans, ses secrets révélés

Il y a 50 ans, un engin unique en son genre a fait son apparition sur les pistes d’essai appartenant à Bibendum. Le Citroën Mille Pattes a ainsi marqué, à tout jamais, l’histoire de l’Automobile avec un grand « A » et du transport routier. Alors, pourquoi Michelin a-t-il développé, en un temps record, une DS vraiment pas comme les autres. Découvrez les secrets du Citroën Mille Pattes Michelin.

Sans leur manquer de respect, les plus âgés et passionnés d’automobile qui lisent ces lignes connaissent déjà bien le Citroën Mille Pattes Michelin. Cependant, LesVoitures.com s’inscrit dans un devoir de mémoire dans le but que les jeunes générations puissent découvrir cet engin fascinant. A l’occasion des 50 ans du Mille Pattes Michelin, Stéphane Nicolas, responsable du Patrimoine Historique Michelin, nous livre les secrets de la DS qui fait rêver, petits et grands, à L’Aventure Michelin.

Pourquoi notre Bibendum national a-t-il créé, au début des années en 1970, cette incroyable voiture longue de 7,30 m, d’un poids de 9 tonnes et motorisée par, non pas un mais, deux V8 5.7 l Chevrolet de 250 chevaux chacun ? Voici un premier élément de réponse. En interne, chez Michelin, le Mille Pattes est connu sous le nom « DS PLR Break Michelin » (PLR : Poids Lourd Rapide).

Citroën Mille Pattes Michelin

Il y a plus de 50 ans, le transport autoroutier est en plein essor car, les avancées technologiques aidant, les camions roulent de plus en plus vite et peuvent supporter des charges de plus en plus lourdes. Michelin décide, alors, de concevoir des gommes à hautes résistances capables de supporter des vitesses élevées, ceci en pensant qu’un poids lourd pourrait atteindre plus de 170 km/h. Peu après, le 9 novembre 1974, les limitations de vitesse entrent en vigueur sur les routes et autoroutes françaises. Pour tester ces gommes, les ingénieurs de chez Michelin créent, en quelques mois, le Mille Pattes.

En son centre, une roue de camion montée d’un pneu est ainsi mise à l’épreuve du bitume. Cela explique que le Citroën Mille Pattes Michelin est équipé de deux V8, l’un entrainant les 6 roues montées sur les essieux arrière, et l’autre, la roue de camion intégrée dans la carrosserie du Mille Pattes, cette roue étant quasiment invisible de l’extérieur. La DS « à rallonge » Michelin ne possède donc, non pas 10 roues, mais bien 11 ! Place aux secrets révélés du Mille Pattes grâce à Stéphane Nicolas.

– Pourquoi avoir développé le Mille Pattes ? N’aurait-il pas été plus simple d’utiliser, à l’époque, un poids lourd ?

« En 1970, l’idée principale de Michelin était de se dire que la technique et les infrastructures routières allaient se développer et permettre aux camions et aux autobus de pouvoir rouler de plus en plus vite. Il est alors question d’anticiper les performances futures des véhicules et, donc, de tester les pneus dans des conditions de haute vitesse soutenue. Le Mille Pattes a donc été mis en service en 1972 et la raison pour laquelle nous avons pris 2 ans à construire un véhicule comme celui-ci est la suivante : à l’époque les camions capables de rouler à 170 km/h, ça n’existait pas. On pensait, en revanche, que dans l’avenir, les poids lourds allaient pouvoir atteindre une telle vitesse. Il se trouve, qu’au final, la suite de l’histoire s’oriente vers les limitations de vitesse et les camions ne rouleront donc pas à 170 km/h mais, Michelin a, comme bien souvent dans son histoire, anticipé cette possibilité en recherchant à innover. Michelin aurait été alors capable de fournir des gommes capables de supporter une vitesse de 170 km/h. Toutefois, cette expérience n’a pas été inutile puisque les pneus sont un organe de sécurité de premier ordre et le fait d’avoir pu tester les produits à des vitesses élevées et soutenues, grâce au Mille Pattes, a représenté un gage de sécurité pour le futur. En effet, si on teste un pneu à 170 km/h, cela veut dire qu’à 130 km/h sur l’autoroute, celui-ci est tout à fait capable de rendre les services pour lesquels il a été conçu. » 

– Pendant combien de temps a été utilisé le Mille Pattes ? 

« Le Mille Pattes a été utilisé pendant une dizaine d’années car, une fois mis en service, il a rendu les missions pour lesquelles il a été conçu. D’autres dispositifs présents dans le véhicule permettaient, par exemple, d’appliquer une charge sur la roue de camion centrale, ou une dérive différente. Le Mille Pattes est donc un véritable et ingénieux laboratoire roulant. Cependant, au fil des années 70, les véhicules sont devenus de plus en plus performants, permettant d’effectuer des tests en conditions réelles et le Mille Pattes a donc perdu un peu de son intérêt. »  

– Comment s’est organisée cette collaboration entre Michelin et Citroën ?

« Pendant 40 ans, Citroën a été une filiale de Michelin. Entre 1935 et 1974, tous les véhicules Citroën tels que la 2CV, la DS ou encore le Type H, dans le domaine des utilitaires, contenaient de l’intelligence Michelin. Et si les véhicules Citroën ont toujours été décalés techniquement par rapport à tous les véhicules de la concurrence, c’est parce que ce n’était pas uniquement le fruit d’un constructeur automobile mais, celui du mariage entre Citroën et Michelin. Il n’y a rien d’autre que le pneumatique qui effectue la relation entre le véhicule et la chaussée donc, pour un manufacturier de pneus les questions de suspension et de liaisons au sol étaient déjà fondamentales. Plus le châssis et les trains roulants vont être bien conçus et plus le pneu va délivrer de meilleures performances. C’est pour cela que les véhicules Citroën ont toujours été extrêmement bien conçus sur le plan des liaisons au sol. Finalement, la collaboration entre Michelin et Citroën s’est faite le plus naturellement du monde et quand les ingénieurs de Michelin ont conçu le Mille Pattes, ils l’ont conçu en utilisant uniquement des pièces provenant des véhicules de série, des pièces homologuées, dans l’idée, qu’éventuellement, un jour, le Mille Pattes soit homologué pour pouvoir rouler sur les routes. » 

– Est-ce que le Mille Pattes nécessitait un permis spécial pour le pilote d’essai ? 

« Ce n’était pas forcément facile à conduire. Pour rappel, il y a 2 moteurs V8 Chevrolet à l’arrière, un qui entraîne les 3 essieux moteur et qui pousse le véhicule, et l’autre qui entraîne la roue d’essai centrale et il fallait synchroniser les deux moteurs. C’est possiblement le seul véhicule qui a la forme d’une DS mais, qui est à propulsion. En matière de pilotage, il fallait à la fois maîtriser la vitesse combinée aux 9 tonnes du véhicule mais, aussi surveiller comment se comportait la roue d’essai. D’ailleurs le Mille Pattes est orange car, c’est une couleur très visible par les conducteurs des autres véhicules d’essais qui étaient présents sur la piste en même temps, pour une question de sécurité bien sûr. » 

– Comment le projet a-t-il été reçu auprès de la Direction de Michelin ?

« Il a immédiatement été validé par la Direction car, Michelin a toujours eu des patrons passionnés de technique, de technologie et Michelin a toujours été en avance sur ses concurrents et a toujours été leader sur la technologie car, en interne, il y avait la capacité d’innovation. L’innovation n’arrive généralement pas tout de suite. C’est bien souvent le résultat d’années de recherche, et il y a toujours eu cette volonté de Michelin d’avoir un coup d’avance sur ses concurrents. Pour avoir ce coup d’avance, par rapport aux pneus des concurrents, il faut énormément investir en recherche et développement. Il y a donc toujours eu, de la part des patrons de Michelin, cet intérêt et cette curiosité pour la technologie, de manière à avoir une longueur d’avance. Au début des années 1970, François Michelin a été un patron emblématique car, lui-même automobiliste et passionné de technologie, il a toujours possédé des véhicules exotiques donc j’imagine, que chez Michelin, ce projet n’as même pas fait l’objet d’une discussion. » 

– Sans le Mille Pattes, est-ce que Michelin en serait là aujourd’hui ?

« Le Mille Pattes est une pièce importante du puzzle de tout ce que Michelin a accompli en faveur de l’évolution du pneumatique. Il y a d’autres projets comme celui-ci dans l’histoire de Michelin comme, à Clermont-Ferrand, ces immenses bâtiments de 500 mètres de long et 30 mètres de haut en forme de toboggan construits par Michelin dans les années 20. Il s’agit de pistes d’essais qui ont été utilisées pendant environ 70 ans. Encore une fois, Michelin n’a pas hésité, une seule seconde, à investir dans ce projet en se disant que, c’était certes complexe à mettre en œuvre à l’époque. C’est cette recherche continue d’innovation qui nous fait encore avancer aujourd’hui. »

– Dès son développement Michelin et Citroën souhaitaient-ils baptiser cette DS insolite de Mille Pattes » ?

« Ce sont les ingénieurs de l’époque qui lui ont donné ce nom. Je suis personnellement marqué par la rapidité d’exécution, à savoir 2 années seulement. J’ai eu la chance de rencontrer un ingénieur qui a travaillé sur le Mille Pattes. Il m’a expliqué que les ingénieurs ont fait les plans en même temps que la construction. Ils savaient tellement ce qu’ils voulaient faire, que les plans n’ont pas été dessinés avant mais, pendant la construction. C’est véritablement l’œuvre de génies passionnés. »

Citroën Mille Pattes Michelin

Après ses « confidences historiques », Stéphane Nicolas nous livre des détails incroyables au sujet du Citroën Mille Pattes Michelin :

« Le Mille Pattes est si encombrant que que c’est la première pièce que nous avons mis en place, 1 an avant de faire L’Aventure Michelin puis, nous avons construit tout le reste autour. Le véhicule est encore complet, le plus compliqué serait de le ressortir de L’Aventure Michelin. D’ailleurs, quand on voit le Mille Pattes, la première réaction est la surprise, la deuxième est l’admiration pour les ingénieurs qui ont conçu un tel véhicule. Sachez qu’il y a eu des petits Mille Pattes. Comme le grand Mille Pattes a donné satisfaction, il y a eu l’équivalent mais, cette fois, pour des pneus de tourisme. On a pris simplement un break DS de série pour y mettre, à l’intérieur, un autre dispositif d’essai avec cette fameuse roue centrale, qui était logée dans la carrosserie du break DS de série. Il existe encore un modèle dans nos réserves. »

Maintenant que vous savez tout sur le Citroën Mille Pattes Michelin, nous vous invitons à vous rendre à L’Aventure Michelin de Clermont-Ferrand pour le découvrir. Pour toutes les infos pratiques, cliquez sur : L’Aventure Michelin. Concluons avec le Mille Pattes en action dans une vidéo d’archive à savourer.

Texte et interview : Marius Porlier

Photos : Michelin