« Minuscule, brillante, sûre,… presque une Ferrari. » C’est en ces termes qu’était décrite la 206 GT dans les dépliants distribués par les représentants de la marque Dino en 1968. Mais que manquait-il donc, exactement, à cette Dino pour être considérée comme une Ferrari à part entière ? Dans le cadre de l’évènement « Historic Racing » organisé par Peter Auto, l’organisateur du Tour Auto et Le Mans Classic, le Fiat Fan Club retrace la genèse de la mythique Dino Ferrari. A l’origine, cette dernière était considérée tel un prototype (1965) avant d’être commercialisée sous le nom de Dino 206 GT, ceci à 153 exemplaires entre 1968 et 1969.
« Un moteur 12-cylindres, tout simplement ! » aurait déclaré le Commandatore. Mais cet homme illustre qui ne rêvait que d’intégrer la Fiat au sortir de son service national et qui avait été éconduit, était déjà d’un autre temps ! Cette voiture largement en avance renvoya la Ferrari 364 GTB4 Daytona à l’époque des Dinosaures ! De fait, lorsqu’on demandait à Sergio Pininfarina, quelle était sa Ferrari préférée, il répondait sans l’ombre d’une hésitation : la Dino 206 GT ; laquelle avait été dessinée par un de ses plus brillants stylistes : Aldo Brovarone. Pininfarina a d’ailleurs imposé le moteur central arrière au Commandatore qui ne voulait pas en entendre parler pour les voitures de tourisme ; cédant très tardivement sur ce point pour ce qui concerne la compétition ! « Les charrettes ne sont jamais poussées par les boeufs » avait-il coutume de répéter. Devant cet énorme succès, toutes les Ferrari 8-cylindres, 2 ou 4 places, seront les héritières de la Dino. Ce seront, bien souvent, les voitures les plus performantes et les plus sûres de leur catégorie.
La mort de son fils Dino marqua, on le sait, à jamais le Maître. Celui-ci fut d’ailleurs tellement désespéré qu’il envisagea même d’abandonner définitivement la compétition automobile en juillet 1956. Quelques amis, dont Vittorio Valletta, le président de la Fiat, parvinrent heureusement à l’en dissuader en invoquant le vide qu’il laisserait sur les circuits et le préjudice considérable que son retrait ne manquerait pas de causer à l’industrie italienne ; pour ne pas dire à l’Italie tout entière, dont il était, en quelque sorte, le porte-drapeau à l’étranger. On oublie trop souvent à cette époque le poids du nationalisme qui pesait fortement sur la compétition automobile; Les voitures arborant les couleurs de leurs pays.
Dino, ingénieur mécanique, travaillait à l’usine de son père et il présenta juste avant de mourir le projet d’un 6-cylindres en V pour commencer en Formule 2 et le faire évoluer ensuite en F1. Entre temps, Aurelio Lampredi, l’homme auquel Ferrari devait tant de beaux et bons moteurs, venait de le quitter pour rallier Fiat. Pour autant, ses remplaçants, Vittorio Jano et Andrea Fraschetti, tout aussi compétents, approuvèrent le choix de Dino et proposèrent à son père de mener le projet à son terme. Fin 1956, soit 5 mois après la mort de son fils, Enzo Ferrari put voir et entendre son premier moteur 6-cylindres en V. Il décida de lui attribuer le nom de « Dino ».
Entre 1960 et 1963, Ferrari pressentait que les grands constructeurs, parmi ceux qui vendaient plusieurs centaines de milliers de voitures par an, allaient faire leur entrée en compétition et qu’il serait dés lors impossible de leur tenir tête. Enzo pensa à Fiat, en bon nationaliste qu’il était. Mais comme le géant turinois semblait ne pas vouloir répondre rapidement à ses avances, il utilisa une autre carte en entreprenant des négociations secrètes avec Ford en 1963… Et de manière à ce que Fiat en ait connaissance ! C’est d’ailleurs bien visible dans le film Le Mans 1966 ! Car, Gianni Agnelli qui devait être le premier client Ferrari (tant il roulait dans ces voitures), intervint immédiatement auprès du gouvernement italien pour empêcher les Américains d’acheter les usines Ferrari. N’oublions pas qu’en 1965, date de l’accord avec Fiat, Enzo avait déjà 67 ans, il était seul, sans héritier et il s’inquiétait de l’avenir de son entreprise. Ce partenariat avec Fiat allait assurer un avenir et donner une autre dimension à son oeuvre. Du reste, 2 ans auparavant il écrivait : « Tout ce que j’ai fait, depuis la mort de mon fils, je l’ai fait pour honorer sa mémoire ».
Ainsi, l’année 1965 fut excellente à tous égards pour la Fiat : leader du marché européen de l’automobile de Tourisme, sa gamme jamais égalée était étendue et attractive ; ses produits de grande qualité, et pour la première fois, elle allait voir plus d’un million de véhicules sortir de ces différentes usines au sein desquelles oeuvraient à l’époque 137 000 salariés. Aux termes de l’accord, Fiat prenait la main sur tous les modèles de route Ferrari et confiait le département course à la Scuderia, sa raison d’être !
En 1967 pour effectuer son retour en F2, où la réglementation venait de passer de 1 000 à 1 600 cm3, Ferrari décida de lancer sa Dino avec l’intention de sortir une voiture de Grand Tourisme équipée de ce moteur. Pour se faire il fallait produire 500 voitures en 12 mois. Impossible à Maranello de suivre une telle cadence. C’est pourquoi Dante Giacosa, le directeur technique et le génial motoriste de chez Fiat, Aurelio Lampredi, vont transformer le moteur de course en moteur de grand tourisme. Cela aussi est une particularité italienne ! A contrario, les autres constructeurs essayant, souvent, de gonfler leurs petits moteurs !
Après la Dino 206 GT, vous connaissez la suite, les Fiat Dino spider, les Fiat Dino coupés, les Lancia Stratos, toutes les Ferrari Dino ont un point en commun : leurs moteurs V6 viennent de Turin ! Et force est de constater que Lampredi a, en l’occurence, accompli un travail remarquable , un chef d’oeuvre à la hauteur de son immense talent en réalisant la transformation du moteur Dino 196 de course en moteur de route sans pour autant le dénaturer le moins du monde.
Pour conclure, ce mariage est certainement la clef de voûte de la réussite de Ferrari aujourd’hui et même si Enzo Ferrari était réticent au départ sur le plan technique du projet Dino, il a bien eu raison de tout faire pour s’unir au Géant turinois. Et l’histoire devait faire le reste, car depuis peu, les plus grands designers ont élu la Ferrari Dino comme plus belle voiture du monde! Un comble pour une voiture considérée à sa sortie comme une « Fiat »… qui vaut aujourd’hui souvent bien plus cher que nombre de Ferrari à moteur V12 !
Texte : Alexis Tissier (Président du Fiat Fan Club)
Photos : Ferrari, DR et LesVoitures.com