C’est une publication qui a surpris jusqu’aux observateurs les plus aguerris : le ministère de l’Intérieur a livré un inventaire d’une précision inhabituelle concernant les 143,8 millions d’excès de vitesse enregistrés en France au cours de la dernière décennie. Un document rare, qui met notamment en lumière la proportion écrasante des infractions dites « mineures », celles inférieures à 5 km/h au-dessus de la limite autorisée.
Cette communication liée aux radars automatiques intervient à la suite d’une question parlementaire du député de l’Aisne Julien Dive (Droite républicaine). Celui-ci avait demandé un bilan détaillé des excès de vitesse constatés entre 2015 et 2024, distinguant les infractions commises en agglomération et hors agglomération, et ventilées par tranches de dépassement. Contrairement aux réponses souvent laconiques adressées aux élus, le ministère a cette fois transmis un tableau exhaustif, couvrant année par année les contraventions initiales dressées, classées par paliers de 5 km/h.
L’analyse de ces données révèle une montée en puissance spectaculaire du parc de radars automatiques. Entre le 1er janvier 2016 et le 31 décembre 2024, leur nombre est passé de 3 328 à 4 753 unités, soit une progression de 43 %. Ces appareils ont déclenché plus de 222 millions de flashs, dont 143 781 137 ont donné lieu à un procès-verbal effectif. Autrement dit, près de 65 % des déclenchements se sont traduits par une amende, soit environ 40 000 PV par jour.
Le volume annuel de contraventions a connu des fluctuations notables. Les années 2017, 2022 et 2023 ont chacune dépassé la barre des 16 millions de PV, tandis que les années 2015, 2018, 2019 et 2020 se sont limitées à 12 à 13 millions, en raison notamment des perturbations liées aux mouvements des Gilets jaunes et à la pandémie de Covid-19. L’année 2024 marque un recul de 16 %, avec 13,9 millions de PV, conséquence directe des radars longtemps neutralisés ou masqués lors de la crise agricole.
Sur l’ensemble de la décennie, 85 millions d’infractions concernent des dépassements compris entre 1 et 5 km/h au-dessus de la limite, après application des marges techniques : 5 km/h jusqu’à 100 km/h, 5 % au-delà, et 10 km/h (ou 10 %) pour les radars mobiles. Ces infractions représentent 59,1 % du total. Les autres se répartissent comme suit :
Dépassement de la vitesse | Répartition des excès en % |
---|---|
de 1 à 5 km/h | 59,1 % |
de 6 à 10 km/h | 22,6 % |
de 11 à 15 km/h | 10 % |
de 16 à 20 km/h | 4,2 % |
de 21 à 25 km/h | 2,1 % |
de 26 à 30 km/h | 1 % |
30 km/h et plus | 0,9 % |
Plus des trois quarts des excès de vitesse sont relevés hors agglomération. Cette proportion varie peu selon les tranches de dépassement : 75 % pour les excès de 6 à 10 km/h, 79 % pour ceux supérieurs à 30 km/h. Cette surreprésentation s’explique par l’implantation des radars : sur les 2 708 radars fixes (tourelles, discriminants, radars de vitesse moyenne), la majorité est installée sur routes, tout comme les 396 radars autonomes de chantiers. Toutefois, cet équilibre devrait évoluer avec le déploiement massif des radars urbains, destinés à renforcer la surveillance en ville.
Depuis le 1er janvier 2024, les excès de vitesse inférieurs à 5 km/h ne sont plus sanctionnés par un retrait de point, mais uniquement par une amende. Cette réforme semble avoir eu un effet immédiat : la part de ces infractions a dépassé les 60 % en 2024, soit un point de plus que la moyenne décennale et trois points de plus qu’en 2022.
La Sécurité routière souligne dans son rapport 2024 que « les moyennes des vitesses de jour des véhicules de tourisme (VT) augmentent sur les artères en centre-ville d’agglomération (+ 2,5 km/h par rapport à 2023) et les routes bidirectionnelles hors agglomération (+0,2 km/h). »
Les chiffres confirment cette tendance : la part des excès de vitesse de 1 à 4 km/h en ville est passée de 48 % à 51 % entre 2023 et 2024 pour les voitures, et de 51 % à 52 % hors agglomération. Pour les poids lourds, la progression est encore plus spectaculaire : de 52 % en ville et 51 % hors agglomération, la proportion a bondi à 75 % sur l’ensemble du territoire. La Sécurité routière s’inquiète : « Pour ces derniers, la prise en charge éventuelle de l’amende par l’employeur semble encourager des vitesses plus élevées, alors que la perte de points restait à la charge personnelle du conducteur. »
Ces évolutions posent une interrogation majeure : la suppression du retrait de point pour les petits excès de vitesse contribue-t-elle à la hausse récente de la mortalité routière ? La question reste ouverte, mais les données publiées par le ministère offrent désormais une base solide pour des études approfondies au sujet de l’efficacité des radars.
Reste une interrogation de fond : une présence accrue de la police de la route ne serait-elle pas plus efficace ? Car si les radars traquent impitoyablement les dépassements de vitesse, ils demeurent impuissants face à d’autres comportements autrement plus dangereux, comme la conduite en état d’ivresse ou sous stupéfiants. Or, près d’un accident mortel sur deux en France est lié à l’alcool ou aux drogues, et le nombre de décès sur les routes a, hélas, fortement augmenté ces derniers mois (+16,7 % au troisième trimestre 2025 par rapport à 2024, avec 970 morts).
Enfin, une certitude s’impose : les radars automatiques, qu’ils soient fixes, mobiles, de chantiers ou urbains, demeurent au cœur de la politique de sécurité routière française. Avec près de 144 millions de PV dressés en dix ans pour excès de vitesse, ils constituent un outil de contrôle massif, mais aussi un sujet de débat permanent sur leur efficacité réelle et leur acceptabilité sociale.
La rédaction
Photos : LesVoitures.com
