Bullitt : c’est un film de gangsters mais c’est aussi une voiture, tant ces deux là sont indissociables depuis 50 ans. Retour aux origines du mythe et détour pour comprendre ce qu’il en reste aujourd’hui. C’est le 17 octobre 1968 que le film, devenu culte, est sorti au cinéma aux Etats-Unis avant qu’il ne débarque dans les salles obscures françaises en mars 1969.
Si je vous dis : “Bullitt”, vous allez probablement me répondre que c’est le film qui abrite la plus belle course-poursuite du cinéma, mais vous aurez certainement oublié l’intrigue du film, relativement banale. Bullitt, un lieutenant de police, est chargé par un politicien ambitieux de protéger Johnny Ross, un gangster dont le témoignage est capital dans un procès dans lequel est impliqué l’homme politique. Malgré les précautions prises par Bullitt et ses hommes, Ross est grièvement blessé, puis achevé sur son lit d’hôpital. Bullitt s’aperçoit alors que la victime n’était pas le vrai Ross…
Juste avant le début de la poursuite, le personnage joué par Steve McQueen sort de l’hôpital et réintègre l’intérieur de sa Mustang lorsqu’il aperçoit des hommes qui le surveillent garer un peu plus loin. Evidemment les occupants de la Dodge Charger de 1968 suivent notre Steve. Dans les rues de San Francisco, Steve alias Bullitt fait demi-tour et parvient à perdre ses poursuivants. Ils le cherchent et finissent par le retrouver, dans leur rétroviseur central. Dans la Dodge, le conducteur se dit qu’un petit clic vaut mieux qu’un grand choc et accroche sa ceinture de sécurité. C’est désormais McQueen le chasseur et cela donne le signal du véritable début de la poursuite. C’est le commencement de ce qui sera considéré pendant longtemps comme la plus longue et réussie course-poursuite du cinéma. Tout ce qu’on est en droit d’attendre d’une telle scène dans un film américain est là, à l’apogée de l’art cinématographique de l’époque. L’Amérique des années 60 se prête parfaitement à ce genre d’exploits et plus particulièrement encore la ville de San Francisco. Les rues en pente sont autant de tremplins que ne manquent pas de négocier à fond la Mustang et la Charger pendant de longues minutes. La lumière est magnifique, les véhicules sont parfaits et la bande son à base de crissements de pneus et de borborygmes prend aux tripes. Les rivaux empruntent les routes qui descendent vers le port, avant de sortir de la ville. La poursuite continue en banlieue. Le passager de la Dodge essaie de tirer au fusil à pompe sur Bullitt. Mais au cinéma il faut toujours un perdant et cette fois ce sera le méchant. La voiture des tueurs fait une sortie de route et percute une station-service, explose et prend feu. Une ficelle bien connue d’Hollywood qu’on retrouvera dans Rambo lorsqu’un Sylvester un peu contrarié fera exploser lui aussi une station.
Un mythe roulant… En-dehors du flamboyant Steve McQueen, la vraie héroïne du film est évidemment la Ford Mustang. Elle participe grandement au succès du film mais, il ne faut pas oublier que si cette scène d’action automobile est restée dans les mémoires, c’est grâce à sa modernité. A l’époque, le réalisateur Peter Yates insiste pour tourner en décors naturels. Commence alors un long bras de fer entre la Warner Bros et le réalisateur. La major, qui sent que ça va lui coûter très cher fait tout pour que cela ne se fasse pas. Mais Yates peut compter sur un allié de choix avec Steve McQueen, trop heureux de tourner dans les rues de San Francisco. McQueen finira même par obliger la Warner à financer…une piscine à la ville de San Francisco. En effet, le maire Joseph L.Alioto ayant mis à disposition les rues ainsi que 3 policiers pour sécuriser les lieux, McQueen tient à le remercier en finançant une piscine. Ce ne fut pas la seule exigence de l’acteur sur ce tournage. McQueen tient absolument à ne pas être doublé pendant la poursuite. Les assureurs s’arrachent les cheveux puis finissent par accepter, Steve n’ayant aucune intention de lâcher d’un pouce sur ce point. Son ami, Bill Hickman, pilote moto, sera embauché pour conduire la Dodge pendant la poursuite, à des vitesses pouvant atteindre les 200 km/h. Le tournage de cette scène durera trois semaines et nécessita deux Mustang et deux Charger.
Alors que sont devenues ces voitures ? Tout commence en Janvier 1968, lorsque la Warner commande à Ford deux Mustang. Elles portent les numéros de série 8R02S125558 et 8R02S125559. La “558” sera utilisée pour toutes les scènes dangereuses. Les cascades, les sauts, certains virages, etc. La “559” sera conduite la majeur partie du temps par McQueen. Pendant longtemps tout le monde pensait que la “558” avait été détruite. Elle fut en effet mise au rebut mais en réalité pas détruite. En son temps, McQueen avait fait toutes les casses pour l’ajouter à sa collection, en vain. Il mourra en 1980 sans avoir remis la main dessus.
L’année dernière, on la retrouve par hasard au Mexique. Ralph Garcia Junior, un garagiste spécialisé dans la restauration de Mustang met la main dessus en tapant son numéro de série sur internet. Les modifications faites à l’époque du tournage sont toujours là et l’absence de logo sur la calandre, sont confirmés par l’authentification par Ford. Depuis, la voiture est revenue en Californie.
L’histoire de la “559” connaît également son lot de rebondissements. Une fois le tournage achevé, la Warner Bros souhaite s’en débarrasser au plus vite. L’affaire est vite conclue car c’est un employé de la société de production qui l’achète. Douglas Ross la conservera quelques années avant de la revendre en 1970 à un officier de police du New Jersey pour 6000 dollars de l’époque. Elle change une nouvelle fois de propriétaire quelques années plus tard toujours contre 6000 billets verts. Robert et Robbie Kiernan sont désormais les heureux propriétaires de cette Mustang, avec laquelle ils roulent au quotidien.
En décembre 1977, ils reçoivent une lettre signée du célèbre acteur. Steve McQueen veut récupérer leur voiture. Il leur propose même de leur trouver une autre Mustang en état comparable pour remplacer “la sienne”. Il termine sa lettre en expliquant que si cela doit couter trop cher, il oubliera l’idée. C’est ce qui se passera, l’affaire ne se fera pas et la “559” restera dans la famille. En 2014, le fils de Robert contacte Molly McQueen, la petite fille de la star. Il a restauré la Mustang et souhaite lui présenter.
Ford connaissait la famille Kiernan mais avait tenu cette information secrète par crainte de vol de la Mustang. Aujourd’hui c’est Sean Kiernan qui conduit la voiture quand Ford veut assurer la promo de sa dernière Mustang Bullitt. En effet, le constructeur américain a décidé de rendre un hommage appuyé à cette légende en commercialisant la dernière version de la Mustang dans une déclinaison Bullitt. A défaut de pouvoir s’offrir un des deux exemplaires originaux, c’est certainement le moyen le plus sûr de s’approcher du mythe.
La nouvelle Ford Mustang Bullitt a été présentée, aux côtés de la fameuse Mustang du film, lors du salon de Genève 2018. La Mustang Bullitt moderne reprend les codes de son ancêtre pour faire revivre la légende. Elle reprend évidemment la célèbre teinte “Vert Highland” de l’originale. Le logo a également disparu de la calandre comme dans le film. Evidemment, il s’agit toujours d’un V8 qui officie sous le capot. Il développe ici plus de 460 chevaux. De quoi entretenir de belles glissades dans les rues de San Francisco, Belleville ou Cergy-Pontoise. Le prix du mythe est de 54 900 €, ce qui, rapporté aux performances est un vrai cadeau. Finalement c’est ça l’Amérique !
https://www.youtube.com/watch?v=OW60y2x3x0w
Texte : Niko Laperruque
Photos : Ford et LesVoitures.com (salon de Genève 2018)